Thomas Dulac
Guide de haute montagne et gardien du refuge des Cortalets, au pied du Canigó depuis 11 ans.
Je suis Thomas Dulac,
Guide de haute montagne et gardien du refuge des Cortalets.
Thomas, êtes-vous originaire de cette région ?
Je suis né à 100 km d’ici.
Pourquoi cette volonté de venir ici ?
J’ai travaillé comme guide dans pas mal de montagnes et il y avait deux, trois endroits qui m’intéressaient pour y poser mes pieds. J’ai choisi de venir ici, car c’était un des endroits qui me plaisait parce que la montagne était assez sauvage et pas encore industrialisée par toutes les remontées mécaniques et les masses touristiques. Il y avait beaucoup de potentiel pour marcher, grimper et en même temps il y a la possibilité d’être en montagne et voir la mer au loin et d’y être cassement dans la journée si on veut.
Vous vivez et travaillé sur le massif du Canigó mais comment vous l’avez connu? Quels ont été vos premiers souvenirs ici ?
J’ai connu le massif du Canigó au moment du service militaire. J’étais objecteur de conscience et l’on pouvait à la place travailler pour une association. Je faisais les cartes au 1/50 000e pour l’association randonnées pyrénéennes et je suis venue dans le coin. J’ai trouvé ça très beau. J’ai alors voulu changer d’association pour rester et j’ai trouvé le Club Alpin Français de Perpignan ce qui m’a permis de faire de la montagne pendant deux ans sur le massif.
Vous étiez déjà un montagnard ou un randonneur ?
Je faisais déjà de l’escalade, c’était ma passion, je voulais devenir guide
Vous avez abandonné cette idée pour devenir gardien de refuge ?
Non, j’ai travaillé comme guide de haute montagne, mais il y a onze ans ma fille est née. Il lui fallait un père beaucoup plus présent et le refuge correspondait tout à fait à mes attentes. J’étais en montagne, ma fille pouvait venir me voir. Maintenant, ma seconde a deux ans, elle est aussi heureuse.
Vous travaillez ici et vous redescendez souvent ?
Non, je descends uniquement pour faire les courses. Par contre, ce sont mes filles qui montent me voir l’été pour les vacances.
Si vous deviez décrire votre relation avec ce massif comment la qualifieriez-vous ?
C’est presque une relation amoureuse, j’ai un très fort attachement et je ne me lasse jamais. Je n’ai pas de lassitude, je n’ai pas un moment où je me dis : tien, j’ai envie d’arrêter ou je n’ai plus envie de parcourir ce massif-là. Alors qu’il y a d’autres massifs où je les ai faits et je n’ai pas forcément envie d’y retourner.
Vous y êtes à l’année ou seulement l’été ?
J’y suis à l’année. J’ouvre l’été effectivement pour les touristes de fin mai à mi-octobre, mais après j’y monte régulièrement pour voir si tout va bien et j’y fais de l’alpinisme, du ski de randonnée. J’habite au pied, à Prades, donc j’y suis à l’année.
Pour vous, c’est un lieu de loisir ou un écrin?
Comment est-ce que vous percevez cette dualité entre un espace de loisir et un site protégé ?
L’un ne va pas sans l’autre : si on n’a pas de plaisir à se déplacer dans quelque chose de beau, on ne le protège pas.
À partir du moment où les personnes découvrent par leurs loisirs que le massif est beau, ils ont envie de le conserver tel quel. Plus on s’en éloigne comme dans des villes ou des endroits qui sont inhumains du point de vue de la nature moins on a envie de le protéger. Car on ne se rend plus compte de ce que c’était. Le loisir est une primauté pour la défense de l’environnement. Je pense qu’il y a plus de gens qui veulent protéger le massif parce qu’ils sont venus en tant que touristes que de spécialistes qui viennent pour étudier spécialement une plante ou une fleur et qui, en fait, n’apportent pas plus que ça sur l’environnement. Ils apportent juste des connaissances.
Est-ce que vous avez l’impression qu’il y a de plus en plus de randonneurs qui viennent et qui arrivent à apprécier ce lieu ?
Oui il y en a de plus en plus.
Ces dernières années l’accès au refuge, ne se fait que par la randonnée. Vous avez vu un changement parmi les publics qui passent ici ?
Oui, le changement est énorme. Moi j’y venais comme guide, on se garait en voiture devant le refuge, ça sentait le gazole. C’était des gens qui venaient là et qui repartaient ; ils s’en servaient de restaurant d’altitude. Ils n’appréciaient pas forcément le paysage en tant que terrain d’entraînement pour trouver une harmonie entre le corps et les paysages. Ils venaient juste là pour observer une carte postale, mais sans y prendre vraiment part. Il y a dix ans, c’était encore ça et aujourd’hui, on se retrouve avec des personnes qui sont obligées d’avoir la volonté de venir ici. C’est-à-dire de s’entraîner, de former une équipe avec des amis, de planifier ce séjour. Il y a toute une construction qui fait que, lorsqu’ils arrivent ici, ils sont beaucoup plus satisfaits que lorsqu’ils montaient en voiture sur un chemin chaotique.
Ce massif autour du Canigó, c’est un massif important pour la culture catalane. C’est une montagne sacrée. Comment est-ce que vous percevez cette identité-là ? Comment percevez-vous ce public qui vient aussi, parfois, pour la Saint-Jean uniquement ?
Il y a un milieu lié au fait qu’il y a des gens qui n’ont peut-être pas forcément fait quelque chose de leur vie et qui ont envie d’avoir une reconnaissance. Dans la loterie de la vie, ils sont nés catalans et donc ils s’en revendiquent parce qu’ils n’ont pas d’efforts à fournir. Donc il y a beaucoup de gens qui arrivent ici avec cet état d’esprit conquérant, comme s’ils avaient quelque chose en eux qu’ils avaient acquis alors que c’est totalement inné et là, cela n’apporte pas grand-chose. Après, il y a beaucoup de Catalans qui sont amoureux de la Nature, du paysage, de la culture et là, ils m’apportent beaucoup, oui effectivement. Avec les traditions, les légendes … Cela permet à certaines personnes de trouver un sens à leur vie, de beaucoup progresser dans la culture et de vouloir, justement, protéger le massif. Après, la Trobada c’était justement (un événement regroupant) que des gens (dont) la seule chose qu’ils savaient faire c’était soulever un drapeau. Mais ça n’allait pas au-delà et, quand la Trobada était finie, on ramassait des poubelles et cela n’avait aucune valeur de catalanité.
Je préfère d’autant plus la Trobada d’aujourd’hui, où les gens montent à pied, où ils ont des valeurs : ils veulent partager à la fois la musique catalane, la langue, les traditions. Ça, c’est quelque chose de très fort, oui.
Et nous d’ailleurs, au refuge, on apporte des plats catalans aux touristes qui apprécient de ne pas avoir le même plat partout : quand ils vont à Bruxelles ils ont un plat belge et quand ils viennent chez nous ils ont un plat catalan. C’est ce qui fait qu’ils ont envie de découvrir et c’est pourquoi il ne faut pas perdre cette culture, mais il ne faut pas non plus en faire un étendard de gens qui, par hasard, sont nés là et n’ont pas autre chose à apporter.
Vous-même êtes entré progressivement dans la culture catalane. Est-ce que cela s’est fait avec des gens en particulier ?
J’ai vécu 12 années avec ma compagne qui était catalane et je n’ai pas senti, au départ, une culture très très forte. J’ai beaucoup voyagé et il n’y avait pas là une identité qui était forte. Je trouve qu’aujourd’hui l’identité est une peu plus forte et elle est un peu plus culturelle.
Est-ce que vous la trouvez plus forte parce que vous êtes sur un lieu qui est important, avec sa spécificité ?
Non, le lieu fait partie de la Catalogne, c’est sûr, mais… Il n’y a pas que la géographie ; il y a la langue, l’histoire, la musique, la nourriture. Il y a tout ça que fait la Catalogne.
Est-ce que vous-même vous parlez catalan ?
Je me débrouille en catalan. Ma fille, elle, parle couramment catalan. Elle est née en Ariège, mais elle est arrivée rapidement ici et a été à l’école de la Bressola, donc elle parle couramment catalan. Moi, j’arrive à parler avec les Catalans, à les comprendre du moins.
Vous avez une équipe avec vous. Est-ce que vos collègues sont français, catalans, espagnols ? Est-ce que c’est une équipe mixte ?!
Oui, il y a des Français, des Catalans et il y a eu aussi tout un tas d’autres nationalités. Le principal, ce n’était pas forcément où ils étaient nés, mais ce qu’ils arrivaient à apporter aux touristes et je pense qu’il est aujourd’hui aussi important de parler catalan qu’anglais, allemand ou espagnol. On est là pour accueillir les gens justement, pour leur faire goûter aux particularités de la catalanité et, pour ça, il faut pouvoir parler toutes les langues. Il faut être dans la rencontre de l’autre et pas dans l’exclusion.
OTICC OT Conflent Canigó OT Conflent Canigo
Combien de gens passent à peu près ici ?
Nous faisons peu près 5000 nuitées par an.
Cela donne à peu près combien de personnes par soirée d’été ?
Ça dépend parce qu’il y a aussi des gens sous tente. Je pense que les gros jours on arrive à 200 personnes sur le massif autour du refuge. Après, les jours de mauvais temps on est une dizaine : des fois il y a plus d’employés que de clients.
Aujourd’hui il y a beaucoup de vélos électriques qui arrivent au refuge. Est-ce que une nouvelle clientèle?
Oui, c’est une clientèle totalement nouvelle. Et c’est une clientèle intéressante parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont laissé tomber leur corps de côté : ils ne s’en occupent plus, ils se garent le plus près au supermarché pour ne pas avoir à marcher … Ce sont un peu devenu des gens soumis au dictat des moteurs et du pétrole et ils ne s’en rendent pas compte. Le vélo électrique leur permet de faire du sport avec le peu qu’ils peuvent fournir. C’est-à-dire qu’ils ont un goût pour fournir du sport et ils n’en sont pas dégoûtés. En cela le vélo électrique est une bonne transition pour reprendre goût à son corps et après, petit à petit, pourquoi ne plus avoir de vélo électrique et avoir un vélo normal ? Je pense que c’est une très bonne transition : il y a énormément de gens qui viennent en VTT électrique jusqu’au refuge.
Est-ce que vous remarquez plus de familles avec ces VTT ?
Non, il n’y a pas encore de VTT électriques pour les enfants. Ça doit exister, mais ce n’est pas encore démocratisé. Et puis, c’est un prix qui est considérable et comme l’enfant grandi, c’est quelque chose à faire plutôt en location.
Donc (il s’agit) plus un public adulte (allant) jusqu’aux retraités j’imagine ?
Oui, les retraités et les personnes qui ont pris du poids, les personnes qui physiquement ne pourraient pas venir jusque-là … Le VTT leur permet quand même d’y accéder.
Les personnes viennent majoritairement faire le pic ou est-ce l’occasion pour elles de découvrir tous les autres sentiers ?
Le pic est un peu la cerise sur le gâteau, mais ce n’est pas forcément l’objectif final.
L’objectif final, c’est de marcher, de se retrouver le soir avec des personnes qu’on ne connaît pas pour pouvoir discuter, partager et se lancer des défis.
Mais effectivement, le pic est un peu ce qui attire, ce qui aimante, mais ce n’est pas forcément là où tous les gens vont.
Beaucoup de gens font la boucle du Canigó aujourd’hui ?
Oui, de plus en plus d’année en année.
Est-ce que vous utilisez parfois ce refuge pour programmer des rencontres ? Est-ce que les gens viennent aussi pour passer une soirée ici, à l’occasion d’événements ?
On fait des événements mas ça ne correspond pas trop au lieu. On a fait des festivals de musique, de dessin de montagne, on a régulièrement quelques petits concerts, mais ce n’est pas la priorité des gens. La priorité, c’est justement de pouvoir se retrouver entre eux, de pouvoir avoir le temps de discuter. On a un gros avantage, c’est que le réseau passe mal donc les gens n’ont plus leur téléphone et sont obligés de se parler entre eux.
C’est une promotion des vallées blanches que vous êtes en train de faire. (rire)
Oui, peut-être oui, mais à ceux qui voudraient absolument mettre la wifi partout, il faudrait qu’ils viennent dans ces endroits-là. Ils comprendraient qu’en fait l’humain est au-dessus de la connectique.
C’est une belle fin !
Refuge des Cortalets
Commune de Taurinya
Tél. : +33 (0)4 68 96 36 19
refugedescortalets.ffcam.fr
GPS : 42.5343962 / 2.4650468
Refuge construit en 1899 par le C.A.F.